Récemment, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Tiffani Bova, ambassadrice en chef de la croissance. Conférencière et auteure très sollicitée, Tiffani Bova figure sur la liste Thinkers50 qui répertorie les 50 plus grands penseurs du monde dans le domaine du management et du leadership. Tiffani Bova a développé en étroite collaboration avec CrossKnowledge un programme de formation original intitulé « Aiguisez vos talents stratégiques pour optimiser la croissance » dont le but est d’aider les collaborateurs à développer leurs talents stratégiques pour pouvoir contribuer à la croissance de l’entreprise.
Au cours de cet entretien, Tiffani Bova nous révèle ses motivations et présente son approche de ce qu’elle appelle l’intelligence de la croissance. Découvrez ses réflexions et ses recommandations pour prospérer dans un monde en pleine mutation.
Pourquoi vous êtes-vous spécialisée dans les stratégies de croissance des entreprises ? Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce domaine ?
J’ai en quelque sorte fait mes armes dans le secteur de la vente. C’est de là que j’ai commencé à m’intéresser à la « croissance », en particulier la croissance du chiffre d’affaires, car l’objectif d’une équipe de vente est d’augmenter les revenus de l’entreprise. Au fur et à mesure que j’ai commencé à gravir les échelons, j’ai découvert différentes méthodes pour croître de façon plus efficace, plus efficiente, plus « scalable”, plus prévisible et plus fiable. J’ai alors essayé de mieux comprendre les mécanismes en jeu. J’aime dire que je “décortique” la croissance, dans le sens où je cherche à comprendre ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et donc comment améliorer ce qui fonctionne et se débarrasser de ce qui ne fonctionne pas. J’ai alors essayé de façon très méthodique, y compris dans ma carrière commerciale, d’être plus efficace dans la gestion de mon temps et de mes priorités.
Cela a duré une dizaine d’années, après quoi j’ai fait du conseil en entreprise pour aider les organisations à mieux se développer, et ce pendant une décennie entière. Je me suis rendu compte que les discussions que j’avais avec toutes les entreprises étaient identiques, quels que soient leur taille, leur lieu d’implantation et leur secteur d’activité. Cela se résumait à deux choses. Pour résumer : premièrement, les entreprises fabriquent des produits. Deuxièmement, elles vendent des produits. Je ne me prononce pas sur ce qu’une entreprise fabrique. En revanche, j’ai un avis quant à la façon dont elle vend ses produits. Quel est son modèle de commercialisation ? Quelle est sa philosophie de vente ? Quelle est sa stratégie de partenariat ? Quelle est sa stratégie de marketing ? À partir de là, vous commencez à comprendre que la clé de la croissance ne se résume pas à un seul élément, mais bien à la combinaison de plusieurs éléments.
Alors, pour revenir à la question de départ sur ce qui m’a donné envie de me spécialiser dans la croissance des entreprises – et qui continue de me motiver aujourd’hui encore –, je dirais que c’est le fait que votre stratégie doit évoluer en permanence et qu’elle ne se résume jamais à une seule chose. Vous pouvez être très bon dans un domaine et vraiment mauvais dans un autre, et cela peut annuler votre avantage ou pas du tout. Vous devez donc être toujours attentif(ve) à la combinaison des stratégies que vous poursuivez. Par ailleurs, je recommande d’adopter un regard d’anthropologue et de vous demander pourquoi cette entreprise est en croissance, alors que cette autre entreprise connaît des difficultés. C’est un peu comme une énigme, on se dit : « oh, ça a marché ici, peut-être que ça marchera ici aussi ? ». Si cela a été efficace pour cette entreprise, cela pourrait l’être aussi pour une autre. En réalité, les choses peuvent se passer de façon tout à fait différente en fonction de la région ou du secteur. Les choses ne se passent jamais exactement de la même manière. D’où l’intérêt et l’utilité de toujours bien réfléchir à toutes ces questions.
Dans quelle mesure les managers de première ligne, qui manquent souvent de temps et qui sont soumis à de fortes pressions, peuvent-ils contribuer à la croissance de l’entreprise avec leurs équipes ?
C’est une question très importante. Il y a de nombreuses années, j’ai inventé une expression : « le dilemme du vendeur ». Le dilemme du vendeur pose la question suivante : comment les managers de première ligne en charge de la croissance des ventes, peuvent-ils à la fois gérer leur activité au quotidien et planifier l’avenir ? Ces deux actions font appel à deux états d’esprit très différents. Et, malheureusement, la plupart des managers de première ligne sont tellement concentrés sur leurs objectifs chiffrés quotidiens, mensuels ou trimestriels qu’ils n’ont pas le temps de se poser et de se demander “ Qu’est-ce qui fonctionne ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Ai-je recruté les bonnes personnes aux bons postes ? Ont-elles les outils adéquats ? Génère-t-on les bons leads ? ”. En résumé, Ils passent à côté des questions auxquelles il est indispensable de répondre pour vendre et croître sur le long terme.
Il faut un style de leadership particulier pour que chacun se concentre sur l’atteinte des objectifs à court terme, tout en faisant le lien avec la croissance à long terme. Si je comprends ma mission et mes objectifs, et si je perçois en quoi mon travail quotidien a une incidence sur la croissance globale de l’activité, je réalise que j’ai un rôle important à jouer, que ce que je fais est important et que je peux contribuer à la réussite de l’entreprise. Dès lors qu’un manager de première ligne parvient à concilier la gestion des activités quotidiennes et leur impact à plus long terme, ses collaborateurs ont le sentiment d’agir pour la réussite de l’entreprise. De fait, ils s’engagent et s’impliquent davantage. Selon moi, c’est la priorité des managers de première ligne : donner une raison d’être aux équipes tout en leur accordant l’autonomie et la liberté d’agir pour accomplir leur travail, et rester disponibles pour les aider et les accompagner lorsque c’est nécessaire.
Existe-t-il, à cet égard, un certain équilibre à trouver entre la pensée à court terme et la pensée à long terme ?
Oui. Je dirais que plus vous montez les échelons de l’entreprise, moins vous vous focalisez sur le court terme et plus vous vous préoccupez du long terme. L’un de mes anciens patrons, un directeur général, m’a confié ceci, il y a de nombreuses années : « Tiffani, quand on est contributeur individuel, on se préoccupe de l’immédiat, d’aujourd’hui ». Prenons l’exemple des ventes. Quand vous êtes chef(fe) d’équipe, vous devez penser au jour présent de chacun. Lorsque que vous montez d’un cran, vous devez penser en termes de semaine, non plus uniquement de journée. Peut-être même en termes de mois. Puis, vous devenez directeur. Là, vous pensez en mois ou trimestre. Après, vous devenez vice-président. C’est évident, vous pensez en trimestre, voire en semestre. Ensuite, lorsque vous êtes vice-président senior ou vice-président exécutif, vous vous projetez sur plusieurs trimestres ou une année complète. Et quand vous accédez à un poste de direction générale, vous pensez à trois ou cinq ans : vous raisonnez vraiment à long terme. Plus vous progressez au sommet de la hiérarchie, plus vous prenez du recul par rapport au quotidien, ce qui n’est pas forcément toujours souhaitable. Voilà pourquoi le management intermédiaire revêt une si grande importance : il est le trait d’union entre le leadership au plus haut niveau de l’organisation et les contributeurs individuels en bas de la hiérarchie.
Selon vous, quelles sont les compétences les plus importantes pour les managers dont l’entreprise met l’accent sur la croissance ?
Je dirais que l’empathie, la communication et la collaboration sont toutes des compétences importantes. Les managers doivent en outre favoriser un environnement où la parole de chacun est écoutée. Je suis consciente que cela peut paraître banal, mais ce que je veux dire par là, c’est que parfois, dans les réunions d’équipe, ce sont toujours les mêmes personnes qui prennent la parole. C’est au leader qu’il revient de veiller à ce que les opinions, les préoccupations et les perspectives de chacun soient prises en compte. Pour cela, le leader doit avoir une très bonne compréhension des dynamiques au sein de son équipe. Personne ne communique de la même façon. Personne ne se sent motivé par les mêmes choses.
Permettez-moi de vous parler de mon expérience personnelle : mes performances en tant que commerciale étaient élevées et m’ont permis d’accéder à un poste de management. Mais, ce n’est pas parce que je suis performante en tant que commerciale que je serai une excellente manager, n’est-ce pas ? Ce n’est pas parce que vous êtes très performant(e) dans un poste que vous réussirez en tant que manager. Je considère que ce n’est pas un service à rendre aux personnes qui gravissent les échelons de l’entreprise de ne pas leur fournir les formations en interne ou en externe, les outils, et des opportunités de mentorat leur permettant de développer leurs techniques de communication ou d’apprendre à mieux résoudre les conflits. Vous savez, l’empathie fait partie des compétences non techniques et ces dernières sont beaucoup plus difficiles à acquérir que les compétences techniques. En effet, les compétences techniques s’apprennent et se mesurent. Au contraire, les compétences non techniques sont beaucoup plus difficiles à transmettre. Il est d’ailleurs plus complexe d’évaluer leur maîtrise.
Selon le Forum économique mondial, 50 % des actifs devront suivre une reconversion d’ici à 2025. Autrement dit, les leaders devront non seulement s’investir dans leur propre reconversion, mais aussi permettre à leurs collaborateurs de se reconvertir à leur tour. Pour cela, ils pourraient dire : « nous allons lire un livre par mois, puis en parler lors de notre prochaine réunion », ou encore, « nous allons organiser un club de lecture, un club pour débattre autour des conférences TED, un club pour s’échanger des podcasts ou des cohortes de formations CrossKnowledge », ou toute autre initiative de ce genre, avec pour objectif de rassembler tout le monde autour de cette culture de l’apprentissage et de la curiosité.
Par conséquent, je dirais que l’empathie, la communication et la collaboration représentent vraiment pour moi les compétences les plus utiles pour un manager.
Dans quelle mesure est-il possible de croître en période de ralentissement économique ? Que peuvent faire les entreprises pour se développer lorsque la conjoncture est difficile ?
J’ai écrit mon livre Growth IQ dans l’optique qu’il résiste aux épreuves du temps : il s’agit d’être pertinent lorsque le marché est en plein essor et que tout le monde se développe, mais aussi quand les marchés se rétractent et que les entreprises mettent en œuvre des politiques de réductions de coûts et de dépenses. Regardez la dernière récession de 2008-2009 : un grand nombre d’entreprises importantes aujourd’hui ont été créées à cette époque.
Pour commencer, il vous faut revenir à l’essentiel et améliorer les processus et faire la chasse aux dépenses inutiles dans l’entreprise. Mais ne faites pas de coupes budgétaires qui peuvent dégrader de façon significative l’expérience client. Cela pourrait vous faire perdre un nombre important de clients. Ne demandez pas non plus à vos collaborateurs d’en faire deux fois plus qu’auparavant. C’est impossible. Acceptez de renoncer à une croissance à deux chiffres en vous contentant d’une croissance à un chiffre seulement par exemple, car l’important c’est de continuer à croître. En quelque sorte, vous pouvez vous dire que ne pas décroître pendant le temps de la crise est la nouvelle forme de croissance, puisque l’essentiel est de ne pas perdre d’argent.
Si vous constatez un ralentissement de votre croissance – ce que j’appelle stagnation de la croissance –, c’est le moment de vous pencher sérieusement sur la situation de votre activité. Avez-vous la capacité de rationaliser, d’automatiser ou d’utiliser des technologies pour accroître votre productivité ? Pouvez-vous proposer de nouvelles formations à vos collaborateurs afin qu’ils puissent accomplir davantage de tâches, dans la mesure du possible ? Si vous réduisez vos dépenses, si vous taillez dans vos effectifs, si vous arrêtez de lancer de nouveaux produits, votre entreprise sera moins viable au sortir de la récession qu’elle ne l’était avant d’y entrer. Dans ces périodes, le risque d’aller trop loin dans les coupes budgétaires est toujours présent.
En quoi votre carrière vous a-t-elle apporté un regard unique sur ce qui aide les entreprises à trouver le chemin de la croissance ?
Par le passé, j’ai eu l’opportunité de diriger des entités spécialisées dans la vente, le marketing et le service clientèle. Cela m’a permis de développer des connaissances approfondies des activités en lien direct avec la croissance, puisque ces trois fonctions y sont liées. J’ai donc été une exécutante de la croissance puis consultante en stratégie de croissance pendant une dizaine d’années. Ma connaissance du terrain et mes recherches académiques, me permettent d’être toujours à la l’affût des meilleures pratiques dans ce domaine.
En dix ans, j’ai probablement participé à quelque 4 500 discussions avec des clients sur la manière de développer leur entreprise, qu’il s’agisse de start-up ou d’entreprises figurant dans le classement Fortune 500. Ce qui est particulièrement intéressant à ce sujet, c’est que les défis sont exactement les mêmes : seule la dimension change. Une grande entreprise pourra par exemple décider d’embaucher plus de commerciaux, quand la start-up devra déterminer le moment de recruter son premier commercial. “Je veux me lancer sur de nouveaux marchés et je suis une société Fortune 500 ”, ou “ je suis une petite structure et je veux me lancer sur de nouveaux marchés ”. Les enjeux sont les mêmes : la différence tient à l’échelle, aux ressources disponibles et à la capacité à mobiliser des capitaux. Les défis à relever, eux, restent relativement identiques.
Pour toutes ces raisons, je considère que ma carrière sur le terrain et en tant que chercheuse ainsi que ces huit dernières années consacrées au conseil aux entreprises, soit près de dix-huit ans, me confèrent un regard privilégié que très peu de personnes possèdent. Cette connaissance des entreprises vues de l’intérieur et de l’extérieur est un formidable atout pour identifier les meilleures stratégies.
Comment tout cela s’inscrit-il dans le thème de votre prochain livre The Experience Mindset ?
J’ai consacré au départ beaucoup de temps à analyser les mécanismes de fonctionnement des entreprises, mais peu de temps à étudier les aspects humains. Je ne parle pas des aspects organisationnels, mais des personnes elles-mêmes. Toutefois, ces huit dernières années, il me semble avoir consacré beaucoup plus de temps à la place de l’être humain dans la croissance de l’entreprise. Suis-je conscient(e) d’avoir un but ultime à atteindre ? Est-ce que je comprends ma mission ? Est-ce que je me sens impliqué et engagé ? Si vos collaborateurs répondent oui à ces questions, alors vous obtiendrez de meilleures performances et une meilleure productivité de leur part. Et si la performance et la productivité sont au rendez-vous, l’expérience de vos clients sera enrichie.
Je me suis davantage intéressée à comprendre ce qui relie l’expérience collaborateurs et l’expérience clients dans ces moments décisifs, où par exemple un client interagit avec la marque, que ce soit en ligne, hors ligne, en interaction avec un être humain ou un robot, en face à face ou à distance. Selon moi, l’expérience, qui représente la pierre angulaire à la fois de la relation avec les clients et avec les collaborateurs, est un domaine dans lequel, à une période de restrictions budgétaires, il ne faut pas rogner sur les effectifs au point de les empêcher de faire leur travail. En effet, lorsque les collaborateurs ne sont plus en mesure de mener à bien leur mission, ce sont les clients qui en font les frais, puisqu’ils ne bénéficient pas d’une bonne expérience. Lorsque vous réduisez vos capacités internes, ce sont vos clients qui en sont les plus pénalisés.
C’est pourquoi, lorsque vous prenez la décision, en particulier dans le contexte actuel, de réduire ou d’augmenter vos dépenses, vous devez toujours garder à l’esprit ces deux composantes clés : vos collaborateurs et vos clients. Tel est le thème central de ce nouveau livre.
Prêts à changer votre état d’esprit et à mettre en place un environnement d’apprentissage dynamique axé sur les compétences ? Laissez-vous guider ! Voici les trois compétences clés pour y parvenir : la curiosité, le rôle des alliés et l’intelligence de la croissance.
Tiffani Bova a rejoint récemment la CrossKnowledge Faculty. Elle est la créatrice du programme Aiguisez vos talents stratégiques pour optimiser la croissance. Figurant depuis six ans au classement des 50 plus grands penseurs du monde des affaires publié par Thinkers50, Tiffani Bova est une personnalité qui selon Forbes « redéfinit notre perception de la croissance ». Spécialiste de la stratégie de croissance, conseillère auprès de comités de direction et conférencière très sollicitée, elle a été l’ambassadrice de la croissance chez Salesforce et chargée de recherche chez Gartner. Elle est l’auteure de deux bestsellers du Wall Street Journal : Growth IQ et The Experience Mindset.
Tiffani Bova anime également le podcast « What’s Next! with Tiffani Bova ». Elle est régulièrement invitée sur les plateaux de Bloomberg, BNN, Cheddar News, MSNBC et Yahoo! Finance. Elle publie régulièrement des articles dans Harvard Business Review, Forbes, Entrepreneur, Diginomica, Quora, Rotman Management Magazine et Dialogue, le journal du leadership et du management de Duke Corporate Education.